Les émotions inconnues
Dans le conte de la semaine, Lancelot nous semble éprouver des émotions d'une façon invraisemblable.
Il faut écouter l'historien Damien Boquet, spécialiste des émotions du Moyen Âge, qui nous dit combien les émotions de l'époque étaient différentes. Les rois pleuraient pour convaincre, tel Charles le Téméraire qui vient verser des larmes devant le Parlement pour demander qu'on lève un nouvel impôt. On éprouvait des « hontes honorables », telles que rougir ou baisser la tête, pour nous protéger des « hontes infamantes », le pire qu'il puisse arriver. Les larmes étaient symbole de virilité et, même, certaines émotions n'existent plus aujourd'hui, telles que la délectation dont je parle dans l'histoire, ou la componction, mélange du remords d'avoir péché et de la joie d'être sur le chemin du repentir.
Mais, si je ne sais rien de ces émotions d'antan, suis-je si sûr de connaître celles d'aujourd'hui. Quand quelqu'un me dit qu'il est triste, ou en colère, ou joyeux, est-ce que je sais de quelle tristesse, colère ou joie il me parle ? Ou imaginé-je simplement qu'elles sont telles que je les vis moi-même ?
Autrement dit, est-ce que je pose comme postulat que l'autre est tel que moi et vis les mêmes émotions que moi ?
Ou est-ce que je m'en réfère à une pratique de notre métier d'accompagnement : la « suspension du jugement phénoménologique ».
Autrement dit, le fait de décider que, a priori, je ne sais pas.
Parce que la vraie rencontre se fait par-dessus des abîmes de malentendus.