Mettre du feu dans la gueule du dragon
Il
s'agit moins d'une histoire de conflit que d'une observation qui, comme
l'article ci-dessus, est inspirée par l'actualité ou, plus précisément,
qui prend un relief particulier à l'occasion du conflit ukrainien.
Cette
observation, faite à de nombreuses reprises, est issue des stages que
j'anime sur le conflit. Dans ces stages, une grande partie est pratique,
avec l'examen des situations de conflits des participants.
Nous
utilisons la technique du « psychodrame » qui consiste à mettre en
scène la représentation que la personne — qu'on appelle le «
protagoniste », l'acteur principal — se fait de la situation.
Concrètement,
le protagoniste rencontre la personne avec qui il est en conflit et
cette personne, qui n'est pas présente en réalité, bien entendu, est
incarnée par un autre participant. Ce subterfuge fonctionne pourtant et
l'émotion est souvent présente.
Les
spectateurs et le protagoniste s'étonnent bien souvent de cette émotion
alors qu'il ne s'agit que d'une mise en scène hors de la présence de
l'être honnis.
«
Ça n'est pas la vraie personne ! », s'exclament-ils. C'est oublier que,
au fond, nous ne rencontrons presque jamais les vraies personnes, car
nous les habillons et les grimons de nos perceptions, de nos préjugés,
de nos casseroles enfin qui nous font voir le monde à notre mesure et à
l'aune de notre expérience.
C'est
ainsi que nos ancêtres ont pu croire que les dragons existaient. Ils
leur suffisaient de croiser un lézard et quelque chose en eux leur
faisait voir des ailes, des griffes et du feu sortant de sa gueule.
Dès
lors que nous considérons qu'il s'agit d'un mécanisme tout à fait
habituel, nous ne nous étonnons pas de l’irrationalité apparente de
certains de nos contemporains. À commencer par celui qui occupe le
centre de l'actualité et aux yeux duquel nous sommes, Occident bête
maligne, le dragon rugissant qu'il faut absolument abattre.
C'est ainsi que le monde tourne, surtout quand il ne tourne pas rond...