Les
projections, c'est ce que nous mettons de nous dans le regard que nous
portons sur autrui. Comme un projecteur de cinéma, nous projetons notre
propre image sur le visage des autres.
Cet épisode illustre à la fois cette idée et celle, très probablement, de Gestalt inachevée.
Cela
se passe dans le cadre d'un exercice à l'École parisienne de Gestalt.
En binôme, nous devons dire à l'autre que nous trouvons désagréable
chez elle ou chez lui.
Je suis en binôme avec une femme. Elle me dit que, parfois, je suis arrogant.
Fidèle à la pratique de la Gestalt, je n'en reste pas là et je "déplie", c'est-à-dire que je m'efforce d'en savoir plus :
— À quoi tu vois cela ? lui demandé-je.
— (après une hésitation) Je ne sais pas trop... Peut-être à ton regard..
— Quoi, dans mon regard ?
— Les sourcils, je crois, une façon de lever un ou les sourcils.
Je
cite ce dialogue de façon très abrégée. Tout cela nous a demandé
beaucoup d'efforts, car cela nécessite d'ouvrir le capot de nos
intuitions ou ressentis, et ce n'est pas chose facile.
Après pas mal de tâtonnements en apparence infructueux, je lui demande :
— Est-ce que ce mouvement de sourcils te rappelle quelqu'un ?
— AAAAAHHHH ! s'exclame-t-elle, mon père !
Ce
lien mis au jour, presque par enchantement, son sentiment que j'étais
arrogant avait disparu (ou, disons, s'était considérablement amoindri).
À
n'en pas douter, sa relation avec son père contenait certaines tensions
non résolues — des Gestalts inachevées — qui, à l'œuvre en permanence,
lui faisait voir le monde, en l'occurrence moi, avec une certaine
coloration.
Ce
qui doit nous encourager à questionner notre prétendue objectivité et
notre rapport à la réalité, cet endroit que les psychologues de Palo
Alto, pour témoigner de l'impossibilité d'un regard direct, appellent :
"Là-bas".